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par Doc » 30 août 2022, 19:40
L’interview cash de Jurgen De Landsheer, chef de corps de la zone de police Midi à 44 ans: "Le hooliganisme revient en force, la loi Football doit être adaptée"
La police, ses défis : 9 questions à Jurgen De Landsheer, jeune chef de corps de la zone de police Midi.
Gilbert Dupont
Gilbert Dupont
Publié le 30-08-2022 à 12h08 - Mis à jour le 30-08-2022 à 12h09
L’interview cash de Jurgen De Landsheer, chef de corps de la zone de police Midi à 44 ans: "Le hooliganisme revient en force, la loi Football doit être adaptée"
Celui qui dirige depuis trois ans la zone de police Midi (qui comprend les communes bruxelloises d’Anderlecht, de Forest et Saint-Gilles), réputée l’une des plus "difficiles" du pays, a commencé au bas de l’échelle : Jurgen De Landsheer a tout fait, y compris, à ses débuts, régler la circulation dans les carrefours, un sifflet entre les dents.
Rencontre avec l’un des plus jeunes chefs de corps du Royaume. À 44 ans, il dirige 981 policiers. Dont près d’un tiers de femmes, signe d’une police qui change. Le mot "statu quo" n’appartient pas à son vocabulaire. De loin il préfère "transparence", "enthousiasme" et "parler franc". Démonstration.
Un fait est sûr : la police de demain ne sera plus celle d’aujourd’hui.
"Je vois la nécessité d’un grand débat public sur la place que la police doit prendre dans la société. Au fil du temps, la police a été demandée un peu pour tout. Jusqu’à devoir s’occuper d’environnement, de bien-être animal. Chacun a des attentes particulières. Les jeunes ont des demandes qui ne sont pas celles des seniors. Or, d’une certaine manière, tout le monde a raison. Le problème, c’est que la police est un service coûteux, et qu’il va falloir faire des choix. Je demande au public et aux politiciens : qu’attendez-vous de la police ? Voulez-vous une police répressive ? Préventive ? Ou plutôt, comme je le plaide, une police composée de services accomplissant chacun les missions précises pour lesquelles il a été créé ? Aujourd’hui, les gens viennent dans les commissariats pour tout et n’importe quoi, simplement parce qu’on est ouverts 24/7. Nous ne pouvons pas tout prendre ni résoudre. Nous devons renvoyer des gens, et nous n’aimons pas ça. Qu’attendez-vous de nous ? Au public de s’exprimer, aux politiciens de décider. Pour ma part, la solution passe par la mise en place de partenariats et par une répartition des tâches obligeant chacun à prendre ses responsabilités. Au lieu de continuer de tout nous mettre sur le dos.
Pour cela, il faut recruter ?
"Pour moi, le premier défi, en effet, est celui du recrutement. La Défense, les pompiers, la protection civile, les sociétés privées de sécurité et enfin la police : nous sommes un peu tous en train de pêcher dans le même étang, or cet étang s’assèche. La police ne continuera de recruter que si elle redevient un employeur attractif. Est-ce le cas ? Dans le privé, on vous offre des véhicules de société, des GSM, des PC portables. À l’armée, on est en train d’augmenter les salaires et de pensionner six ans plus tôt qu’à la police. Ajoutez les problèmes spécifiques à la région bruxelloise. Prenez le jeune qui, provenant d’Arlon, fait son stage à Arlon. Pourquoi viendrait-il à Bruxelles ? Pour les quelques primes proposées, alors que le prix de l’essence ne cesse d’augmenter, qu’il devra payer de sa poche sa place de parking et qu’il y a en région bruxelloise des commissariats où l’on se croirait dans les années 1980 ? Chez nous, à la zone Midi, 58 policiers doivent être remplacés en moyenne chaque année. On y arrive, péniblement.
En Flandre, des milieux politiques plaident pour la création d’une seule grande zone de police bruxelloise, au lieu des six actuelles ?
"J’y serais favorable mais uniquement si c’était réellement avantageux pour le public. Je ne suis pas du tout convaincu. Faire fonctionner une grande zone avec 19 bourgmestres ? Alors que chacune des 6 zones bruxelloises est tellement spécifique. Imaginez qu’un chef de corps devrait diriger seul entre 6 000 et 7 000 policiers ? Et pensez au reste. Rien qu’à la zone Midi, nous avons 13 bâtiments que je parviens difficilement à visiter de temps en temps. Changer tout cela parce que cela permettrait soi-disant de mieux gérer les grandes manifestations ? Alors qu’en réalité, le service de maintien de l’ordre ne fonctionne pas si mal. Non, on n’a rien à gagner…
L’affaire du Falstaff, la semaine passée, a clairement montré que le hooliganisme n’est pas mort. Or les deux grands clubs bruxellois - Saint-Gilles et Anderlecht - se trouvent sur la zone de police que vous dirigez.
"L’affaire du Falstaff, après de multiples incidents survenus la saison dernière, l’a en effet rappelé. Le hooliganisme revient en force. Il trouve les brèches et s’y engouffre. Le hooliganisme se déplace. Sur le plan stratégique, on doit en tenir compte dès cette saison. Je ne vais pas envoyer des assistantes sociales en première ligne contre les hooligans. Autrement dit, la loi Football doit être adaptée, c’est une évidence.
Le restaurant Falstaff attaqué par des supporters de foot
La place de la police est-elle dans les stades ?
"Bonne question, et vieux débat. En Finlande, lors de grands matchs de hockey, je n’ai vu aucun policier. Ce sport est pourtant certainement aussi viril que le football. Or, là-bas, tout est géré par les stewards (à l’extérieur des installations) et des agents de sécurité (à l’intérieur). J’espère que ce n’est pas une utopie que de se fixer l’objectif d’arriver un jour chez nous à ce qu’il n’y ait presque plus de policiers pour les matchs de foot sinon pour la sécurité du public aux alentours des stades. Aujourd’hui, un match mobilise habituellement 2 pelotons, soit 80 policiers. Avec les caméras intelligentes bien utilisées, on devrait pouvoir arriver à le faire avec 20 policiers.
Vous avez pris la direction de la zone Midi immédiatement après l’affaire Adil (en avril 2019, le décès de ce jeune homme, lors d’une course poursuite, avait déclenché des heurts avec la police). D’autre part, des incidents à répétition ont été signalés cet été, et pas seulement dans le quartier Cureghem ?
"Je suis content que le bourgmestre (Fabrice Cumps) nous ait soutenus. Nous nous sommes montrés sur place et nous l’avons fait directement et en force. Ce n’était pas pour faire de la police répressive : au contraire, nous sommes pour le dialogue. Nous l’avons fait pour montrer que nous sommes là. Pour dialoguer, il faut être deux. Si je suis invité dans les quartiers, j’y vais. Il faut comprendre que nous, policiers, nous voulons que les gens se sentent bien, et donc en sécurité. Je veux être un partenaire fidèle et loyal avec tout le monde, autant avec nos autorités politiques qu’avec les citoyens. Nous plaidons la transparence. Nous sommes ouverts à trouver des solutions.
Si vous deviez coter la police belge sur une échelle de 10 ?
"Je lui donnerais 7/10. Il ne faut pas se sous-estimer. À l’étranger, la police néerlandaise a une bonne image mais je connais cette police et je vous garantis qu’il lui reste pas mal de défis. En France, vous avez toujours la gendarmerie, la police nationale, les polices municipales, etc., ce qui n’existe plus chez nous depuis vingt ans. En Belgique, on est un peu trop modestes. En fait, on n’est pas si mal que ça. Par exemple, nous avons un outil, la BNG (banque de données nationales générales), quasi unique au monde. Nous avons une bonne police mais devant nous aussi, c’est vrai, pas mal de défis.
7/10, ça laisse des possibilités d’amélioration.
"Il y a de la marge. Mes trois priorités sont celles-ci. En 1, un meilleur recrutement : nous avons des besoins et en fonction de ceux-ci, nous devons mieux définir les profils que nous devons rechercher. En 2, adapter le statut policier : il nous faut un statut moderne, moins rigide, plus flexible et évolutif. En 3, nous devons mieux utiliser les innovations. Un peu comme le font les banques : moins de bureaux mais davantage de services rendus au public. À la zone Midi, nous avons créé une ‘cellule coaching’ dont la fonction consiste à suivre chaque policier de manière à prendre mieux en compte ses souhaits, tout au long de sa carrière. Un second projet est, à mes yeux, essentiel : le projet de proximité LISA (pour ‘local integrated security antenna’). Grâce à la création d’antennes locales, nous voulons mieux répondre en temps réel aux attentes de chaque citoyen confronté à un problème précis, et donc l’orienter rapidement vers le service efficace qui répondra de manière optimale à sa demande.