La détention préventive comme moyen de pression, sur le suspect ou tous ceux qui pourraient l'être, c'est totalement dégueulasse et probablement inefficace pour aboutir à la vérité.
N'est-ce pas une forme de torture?
Modérateurs : Francis2711, Thelone
La détention préventive comme moyen de pression, sur le suspect ou tous ceux qui pourraient l'être, c'est totalement dégueulasse et probablement inefficace pour aboutir à la vérité.
jfstassen a écrit :N'oublions jamais le précepte Raphaello-Quarantien : "J'ai gagné, j'm'en fous !"
Bon, qui se dévoue pour aller expliquer à Pierre François qu'il n'a pas libéré le bon Jeremy?
C'est une des premières questions qu'il a posées dans les heures qui ont suivi sa libération : "Je suppose qu'il n'y a plus de matches de Liège cette saison."
A ce propos, un des derniers messages des parents de Jérémy avant sa libération.
Ci-dessus en rouge, ce qui est peut-être le plus incroyable dans cette histoire.Parents de Jérémy a écrit : Nous sommes les parents de Jérémy.
Notre fils a été appréhendé le 15 mars dernier. Le lendemain au soir, il était incarcéré à la prison de Champ-Dollon pour une détention préventive fixée à trois mois, reconductibles. Après la stupeur consécutive à cette annonce, nous avons appris qu’il était soupçonné d’avoir participé, quinze mois plus tôt, à une action militante sur le site de la gravière de Sézegnin, propriété de la multinationale Holcim, qui est dans le collimateur des « activistes-climat » en raison de son statut de plus gros pollueur de Suisse et de responsable de multiples atteintes aux droits de l’homme, du travail et de l’environnement, en particulier dans de nombreux pays du Sud.
Le risque de collusion était invoqué pour justifier cette mise en détention préventive.
Nous ne parlerons pas ici de cette affaire. Il viendra un jour où elle sera jugée et notre fils, s’il est reconnu coupable des faits qui sont aujourd’hui suspectés, se pliera aux décisions de la justice et règlera « sa dette ». Ce que nous souhaitions évoquer, c’est le flot de témoignages d’indignations que nous recevons depuis que la nouvelle de l’incarcération de Jérémy a été connue.
Ces indignations sont diverses. Certain-es piochent parmi elles, d’autres les prennent toutes en bloc.
1. Première source d’indignation : l’indifférence vis-à-vis de la cause
La réaction spontanée la plus fréquente porte sur le sort qui est fait aux revendications sur le climat. Alors que l’urgence pour notre planète est criante, qu’elle semble reconnue par tout le monde… on ne peut que constater l’inaction coupable de nos sociétés face à ce péril. Dans ces conditions, et alors que les moyens légaux sont inopérants, que ceux qui sont pacifiques ne sont pas plus efficaces, la rage est grande à la vue de cette jeunesse abandonnée à son funeste sort. Beaucoup de nos interlocuteurs ne peuvent que comprendre la désobéissance civile et la plupart d’entre eux approuvent même les sabotages que cette situation a commencé à générer. Et nos interlocuteurs enragent du fait que les véritables responsables de ce gâchis restent impunis alors que ceux qui tentent de réagir et de nous conscientiser sont criminalisés. On nous parle régulièrement de criminalisation de l’activisme.
2. Deuxième source d’indignation : la disproportion de la punition
Par ailleurs, les témoignages se rejoignent clairement sur une constatation récurrente : on ne parvient pas à voir de proportionnalité entre les faits évoqués et la punition encourue. Ces témoignages ne proviennent pas que de proches ou de « tout-venants ». S’y ajoutent ceux de spécialistes du droit, qui n’en reviennent pas. Trois mois de prison, qui seront vraisemblablement reconduits, c’est extrêmement sévère. Apparaît chez nos interlocuteurs le soupçon d’un arbitraire qui conduirait les décisions de justice, arbitraire sans doute inévitable pour mettre de l’huile dans les rouages judiciaires mais qui se cache généralement de façon plus efficace. Cette impression est d’autant plus grande que le risque de collusion ne parvient pas à apparaître comme réel ou important. Les faits se sont produits il y a 17 mois maintenant et, dès le jour de l’arrestation de Jérémy, l’information est vite devenue secret de polichinelle.
3. Troisième source d’indignation : l’utilisation abusive de la détention préventive
Cet arbitraire qui génère le sentiment qu’on impose une punition disproportionnée se comprend peut-être si on se dit que la détention préventive est utilisée par la Justice comme une arme. Elle permet de punir sans avoir besoin de juger, ce qui heurte notre conception de l’état de droit. Elle permet de faire pression sur le prisonnier, qui ne sait pas combien de temps il restera détenu. Cette négation de toute perspective temporelle est extrêmement difficile à vivre. De plus, les conditions de détention préventive sont nettement plus difficiles à vivre que celles après jugement.
4. Quatrième source d’indignation : les conditions de détention
La plupart de nos proches, comme nous, étaient éloignés du monde de la prison. Ensemble, nous découvrons cette réalité, écarquillant les yeux tellement ce que nous apercevons de l’extérieur nous apparaît comme contraire à cette idée que nous avions érigée en un phare sur notre civilisation : les droits de l’homme. Théoriquement, il est évident que les droits de l’homme s’appliquent aussi aux détenus, dans le cadre de leur privation de liberté. Mais, pratiquement, on avait assez peu d’idées de l’écart entre cette théorie et la réalité. La moindre occasion semble bonne au système carcéral pour saper tout ce qui pourrait relever de la dignité. Et quand on voit cette offensive en règle s’abattre sur des hommes en chair et en os et qu’un de ces hommes est votre fils, on passe vite de l’éberluement à l’indignation, puis de l’indignation au dégoût, et du dégoût à la colère !
Il y a quelques jours, le conseiller d’Etat Poggia présentait sa nouvelle stratégie pénitencière à Genève. Il a rappelé comme une évidence qui ne semble même pas discutée que « la prison, ce n’est plus simplement punir. C’est aussi préparer pour un retour à la liberté. » Nous devons bien avouer que ces mots résonnent bizarrement à nos oreilles. Notre impression est qu’au contraire, tout est fait pour que le séjour en prison enfonce le détenu, et que cela ne peut qu’attiser sa colère vis-à-vis de la société qui orchestre sa perte de toute dignité, qui n’a de cesse de lui rappeler qu’il ne vaut rien. Et cela n’a rien à voir avec la vétusté des lieux, ni même avec la surpopulation chronique à Champ-Dollon ou avec les conditions de travail difficile du personnel. Non, rien de tout cela ne devrait induire ce que nous découvrons.
Nous vous épargnerons ici une liste à la Prévert, sans doute suggestive mais qui ne dit pas vraiment l’expérience qu’en font les personnes incarcérées. Une amie, qui est spécialiste de l’enfermement, nous rappelait récemment qu’il est évident que la prison est une gigantesque entreprise de dépersonnalisation. Les récits rédigés en prison sont légion et certains ont été publiés. Quand on s’y plonge, on ne peut que confirmer. Jérémy aussi. Il disait récemment lors d’un parloir : « Tu sais, Maman, ici, la folie, elle est omniprésente. Je dois juste veiller à ce que la mienne soit la plus saine possible. » Voilà à quoi en sont réduites les personnes détenues.
En deux mois, nous en avons entendu des choses. Nous en avons vécu aussi, car la famille n’est pas épargnée et le système ne rechigne devant aucun procédé pour nous rappeler que nous n’avons rien à revendiquer et que nous devrions déjà être bien content-es de ce qu’on nous accorde. Il est clair que la place manque ici pour tout déballer. Nous nous contenterons donc de deux « petits » événements récents. Nous écrivons « petits »… nous devrions plutôt écrire « ordinaires », comme quand Hannah Arendt parlait de « banalité du mal ». La banalisation des atteintes à la dignité humaine, c’est bien à cela que nous expose le monde de la prison. Et c’est cela que nous avons ressenti lorsque nous avons appris ce qui peut n’être vu que comme deux « petites histoires ».
- Lors d’une visite récente au parloir, Jérémy a raconté à sa jeune sœur et à son père ce qui s’était déroulé le matin même. Nous avons eu l’impression qu’il voulait donner un ton léger à l’anecdote. A 8 :30, donc, ce jour-là, cinq gardiens sont entrés dans sa cellule pour la fouiller. Les cinq co-détenus ont dû sortir et être fouillés eux-mêmes (à nu, bien sûr, avec accroupissement bien sûr… pourquoi lésiner ?). De retour dans leur cellule, ils ont constaté que leurs affaires formaient un tas informe au beau milieu de la pièce : vêtements propres et sales, des cinq détenus, courrier, bouquins, nourriture, que les paquets soient ouverts ou fermés (un paquet de sucre ouvert trônait sur ce tas), le tout amassé sauvagement. En quittant le parloir, ce jour-là, sa sœur, inébranlable optimiste, en avait mal au ventre. Ce petit récit lui avait glacé le sang, lui laissant juste l’impression qu’on aime passer son temps à saper tout ce qui reste de dignité à son frère et aux autres détenus, avec bien sûr l’évidence que ces derniers ne valent pour rien.
- Quelques jours plus tard, une autre information nous a fait voir cette fouille impromptue d’un œil un brin différent. On se dit aujourd’hui que les gardiens avaient une mission supplémentaire : repérer quelque chose dans les affaires d’un détenu en particulier. Ce jour-là, en effet, les carnets de notes de Jérémy ont été subtilisés par un des gardiens-fouilleurs. Après quelques jours en prison, notre fils s’était mis à écrire dans des carnets. Tenir ces notes était apparemment une façon pour lui de surmonter les difficultés de l’enfermement. Et, sans l’en informer (il était absent de sa cellule), sans notifier le moindre mandat, on est venu lui prendre ses carnets. Selon son avocat, on y trouve aussi la transcription des échanges que Jérémy a eus avec lui et ses collaboratrices, échanges qui bénéficient en principe inconditionnellement de la confidentialité. Une jeune étudiante en droit a rendu visite à Jérémy quelques jours après cet épisode. Elle n’en revenait pas. Atterrée, elle nous a confié : « si on utilise ces carnets dans l’enquête contre Jérémy, j’aurai perdu toute confiance en l’état de droit. »
La violation de la sphère la plus intime est sans doute une évidence en prison. Et, à ce titre, elle alerte assez peu l’opinion publique, vaguement attachée à l’idée, construite à l’emporte-pièce, que le détenu mérite sûrement ce qui lui arrive. Pourtant, comme nous le disait un de nos interlocuteurs : « Je ne suis pas spécialiste en droit mais je crois… je suis sûr… que, même en prison, les détenu-es ont des droits. » Dis comme cela, c’est effectivement une évidence. Mais cette évidence est balayée au quotidien.
Pour Jérémy ou pour les autres personnes incarcérées.
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